Adam Thomas Eideard - One Leader Is Born

Les pluies tropicales étaient toujours interminables, le ciel se chargeait de nuages lourds qui s'amoncelaient au-dessus de l'île et soudainement, sans coup de semonce, le déluge commençait. La ville de Port Royal ne mettait guère plus d'un quart d'heure pour baigner dans son jus, transformant en tourbière les rues basses et en torrent les allées qui montaient vers le quartier bourgeois. Ce n'était pas un temps à mettre un chien dehors et encore moins les bourgeois et autres aristocrates qui constituaient les nobles résidents de Port Royal. Les lumières des résidences s'éteignaient, une à une, il n'y avait pas de fête ce soir et chacun restait chez soi. Seul la lampe tempête qui éclairait l'entrée du cabinet Eideard résistait à l'assaut de la pluie mais elle n'était visible que de la partie basse de la ville et ne faisait qu'indiquer que le médecin était toujours présent et qu'il pouvait s'occuper d'urgence éventuelle. L'entrée principale quant à elle baignait dans l'obscurité, comme toutes ces voisines. Quelques fenêtres du premier étages diffusaient une faible lumière provenant surement d'un feu de cheminée, le propriétaire des lieux étaient encore debout malgré l'heure tardive.
La soirée avait été calme, après un diner en tête à tête avec Katerine, la demoiselle était parti se coucher et Gabriel s'était enfermé dans le salon qui jouxtait sa chambre. Le jeune femme faisait des progrès, elle n'avait quasiment plus besoin de lui, il était probablement temps qu'il pense à repartir. Mais il ne pensait pas encore à ça ce soir. En proie à une habituelle insomnie notre homme avait passé une grande partie de sa soirée dans un fauteuil, près du feu, un livre dans les mains. Mais depuis quelques secondes il s'était levé, suffoquant sous la chaleur du foyer et c'était dirigé vers une fenêtre. Les plaques de verres cerclés de bois étaient fraîches, au grand bonheur de Gabriel. Il appuya son épaule contre le montant de l'imposante ouverture et observa Port Royal dans l'obscurité. Enfin il était difficile d'observer quoi que se soit par ce temps, habituellement il pouvait voir la mer et ses reflets argentés mais aujourd'hui il ne pouvait qu'imaginer les bateaux se balancer doucement au rythme de la houle. Il ne pouvait qu'imaginer les derniers fous se courber sous la pluie en courant d'abri en abri jusqu'à chez eux. C'était l'heure de la fermeture pour la majorité des tavernes, cela faisait bien longtemps qu'il n'avait pas fréquenté ce genre d'endroit … Les coudes tenus dans ses mains, ses pensées arrivèrent finalement au Shipwreck. Il ne se passait pas un jour où Gabriel se demandait où Charles et son équipage pouvait être, sur quel mer pouvait-ils être, s'étaient-ils fait prendre ... Si ce jour funeste devait arriver il serait sans doute l'un des premiers à Port Royal à le savoir, Victoria ne manquerait pas de traverser la rue pour lui annoncer la nouvelle elle même. Elle n'attendait que ça, quelques choses pour mettre la faille de son histoire au grand jour, il était sur un piédestal mais notre médecin s'obstinait à rester où il était. Son passé commun avec la demoiselle et son nom le protégeait, du moins cela devait être les seuls choses qui la retenait de l'emprisonner. Elle n'avait pas été berné par la version officiel des évènements comment aurait-elle pu. Néanmoins il semblait encore résider des doutes en elle et c'était le seul filon exploitable qu'il avait sous la main. Gabriel arrêta là sa réflexion sur sa chère voisine Victoria Enfield, il avait tant de fois mit ce sujet sur le tapis qu'il l'avait usé jusqu'au dernier bout de fils.
Il attendait devant cette fenêtre, mais qu'attendait-il ? Que Charles apparaisse et l'emmène avec lui sur son cheval blanc. Cette pensée lui tira un rire, il serait peut être temps d'arrêter de lire des romans. Si c'était pour avoir des idées comme celle là, il était temps d'arrêter les dégâts avant l'irréparable. Souriant de plus belle Gabriel tourna le dos à l'extérieur et se dirigea à nouveau vers son fauteuil. Partir maintenant serait délicat, maintenant qu'il avait pleinement conscience de ce que ses actes avaient entrainé pour sa famille, il était quelques peu réticent de les entrainer encore plus bas qu'ils n'étaient déjà. Tous les efforts qu'ils avaient produits pour le protéger, les réduire à néant le plongerai dans le remord. Même si aujourd'hui Gabriel savait que son frère et sa mère l'avait plutôt fait pour eux que pour lui. Mais il les comprenait et cela suffisait à le retenir, l'homme s'affala dans son fauteuil et retira ses satanés bottes de deux coups de pieds. Ce n'était pas encore ce soir qu'il ferait un choix, il avait encore le temps ... ou pas.